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Le burn-out, un cadeau de la vie ?

Temps de lecture: 7 min 3 s

Pour positiver, c’est ce que j’aime me dire.

J’aime me convaincre que cette expérience du burn-out m’a servie, comme toutes les épreuves de la vie, j’essaie de transformer les « échecs » en leçon.

Comme vous le savez, je rêve de bonheur au travail depuis toujours, alors j’ai fais des études le domaine du management afin d’être RH et, un jour, pouvoir proposer mes services de conseil auprès des organisations. Alors oui, mon burn-out m’a permis de voir l’envers du décor, de ne plus être le bourreau mais la victime. Même si j’étais déjà sensible au bien-être au travail, au début de ma carrière RH, ce burn-out est venu comme pour « confirmer ma vocation » et savoir VRAIMENT de quoi je parlais. Après la théorie, la pratique donc. Cool ! L’épuisement professionnel m’offrait donc l’opportunité de « m’aligner davantage avec mon projet pro ». Super !

Merci le burn-out, je suis plus déterminée que jamais.

C’est le sens que je donne à ce qu’il m’est arrivé. Et nous sommes nombreux dans ce cas là (voire de plus en plus), à avoir vécu un burn-out et à vouloir aider les autres.

Petit aparté : outre le fait que, l’avoir vécu ne suffit pas à comprendre tout ce que cela implique – faire la promotion de son burn-out comme pour se sentir légitime à parler de ce sujet, cela pose problème (à mon sens et au sens d’Aude Amarrurtu, ex DRH, qui rappelle que « dans la mesure où en entreprise beaucoup exercent des fonctions de management, ils pensent savoir, tout savoir du management, et par extension, des ressources humaines. » – excellent article à retrouver au bas de cette page1).

De façon plus générale, même si de très beaux projets attendent ceux qui souffrent au travail, la glorification de cette épreuve masque la réalité de l’ampleur du phénomène et nous allons en parler… Car non, le burn-out n’est pas un cadeau de la vie et le laisser penser est SUPER dangereux (en tout cas, c’est ce que je pense aujourd’hui, et je vous explique pourquoi).

Ce cadeau empoisonné, je m’en serai bien passé.

J’aurais préféré ne jamais souffrir à cause du travail.

Je regrette le temps de ma détermination sans limite, une détermination insouciante, presque inconsciente. Je repense à ces années, avant mon burn-out, où j’avais déjà l’impression d’avoir déjà trop attendu. J’étais dans les starting-blocks, comme une balle de flipper, prête à partir. Je me rêvais RH, à l’écoute, bienveillante avec les salariés. J’étais CONVAINCUE que j’étais faite pour ça. Et que ce métier était fait pour moi. Telle une véritable native de la génération Y, adepte du développement personnel, c’est décidée à changer le monde que j’ai intégré la sphère professionnelle.

Mais le burn-out a réduit en cendre : mes aspirations, mes rêves, mes ambitions, mes croyances. Je ne suis plus certaine de pouvoir exercer mon métier selon mes valeurs (d’ailleurs, l’un des symptômes de l’épuisement professionnel, c’est le cynisme). Le choc entre mes aspirations et la réalité a été tellement violent… C’était l’anéantissement d’années à rêver, à espérer, à croire que je pourrais participer à changer les choses en apportant ma valeur ajoutée…

Alors oui, le monde est tel qu’il est ; et il faudrait faire avec… Si j’avais été cynique de nature, davantage « les pieds sur terre », je n’aurais peut-être pas été si déçue du monde du travail. Mais j’avais tellement envie de bien faire que si quelqu’un m’avait prévenu que mon champ d’action serait limité, j’aurais probablement foncé de la même manière, voire pire. Je ne sais pas.

Combien de vocations sont tombées ainsi ? Est-ce une bonne chose de nous ramener à la réalité ?

A mon sens, le burn-out, c’est un gâchis, un drame, un meurtre à petit feu. On a cru Confucius lorsqu’il disait « choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie » mais combien ont choisi un travail qu’ils aiment et en arrivent, pourtant, au point de ne plus pouvoir l’exercer ?

Au-delà des ambitions déchues (qui, soit dit en passant, amenuisent la force productive et créative de notre pays, du monde du 21ème siècle en général), le burn-out avale sur son passage : la confiance en soi, en autrui, en l’avenir. Combien en sont venus à douter du lendemain, de leur orientation professionnelle, de leur mission sur terre, de l’existence de l’humanité dans ce monde guidé par l’opportunisme, l’individualisme et la cupidité ?

On ne parle même pas des conséquences du burn-out sur les amitiés et les familles…

C’est par un épuisement professionnel qu’on remercie les bons travailleurs ?!

Si c’était vraiment un cadeau…

Si le burn-out était un cadeau de la vie, je n’aurais pas eu peur d’en parler. Je n’aurais pas eu peur de me faire assassiner, lorsque j’étais dans le taxi à Paris en route pour l’interview, de peur que mon ancien patron veuille me faire taire. Je ne craindrais pas pour ma carrière d’avoir pris la parole publiquement pour dénoncer ce fléau. Je n’aurais aucune gêne à aborder le sujet lors de mes entretiens, avec mes nouveaux employeurs ou avec mes collègues de travail.

Si le burn-out était un cadeau de la vie, je n’aurais pas été hospitalisée, je n’aurais pas perdu 10 kilos et mes muscles avec, je n’aurais pas pris des antibiotiques pour rien, je n’aurais pas perdu certaines capacités physiques.

Si le burn-out était un cadeau de la vie, on ne soignerait pas toute une population à coup d’anxiolytiques pour réussir à la vivre, la vie.

Et puis il y a toutes ces petites conséquences, comme les difficultés à se concentrer, la peur du jugement, la re-vérification 100 fois de son travail, le sentiment d’être réellement inapte au travail (au monde du travail) et tant d’autres séquelles dont je n’ai peut-être pas conscience… Quand on a vécu un incendie, on regarde toujours les flammes d’un œil craintif et on sent d’odeur de brûlé à des kilomètres. L’épuisement professionnel, c’est pareil. C’est un traumatisme. Rien ne sera plus jamais pareil.

Alors oui, je suis « remontée » en selle après cette mauvaise expérience. J’ai essayée d’être cette RH que j’aime être et que les salariés aimaient voir. Je me suis fait violence pour mettre le cynisme de coté et récupérer mon envie d’apporter un peu de bonheur au travail ; mais une fois n’est pas coutume, le monde du travail est tel qu’il est. On est là pour faire de l’argent et pas du social. Je regardais régulièrement l’état de mes mains et de mes jambes, de peur de rechuter. Car oui, beaucoup rechutent (forcément, le monde du travail n’évolue pas beaucoup et trop lentement à mon goût). Et personne n’est heureux de voir revenir ce « cadeau »…

Donc est-ce vraiment une bonne chose de faire un burn-out ? Peut-on réellement tenir un discours pareil ?

Alors oui, le burn-out m’a permis de me mettre à la place des travailleurs qui souffrent, d’être une RH encore plus sensible, de créer TravailEcoute, de vivre le harcèlement moral et sexuel, d’avoir une vision claire de ce qui m’attend : SUPER.

Mais le burn-out m’a aussi « foutu en l’air » comme m’a dit ma mère.

La banalisation empêche le progrès

Tout le travail sur soi qu’il faut faire pour se reconstruire après, c’est un parcours du combattant ! Certains se remettent sur pied plus vite que d’autres. Réussir à transformer le burn-out en opportunité, c’est génial. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Beaucoup restent à terre pendant des années et dans une extrême solitude ; même guérit, on n’en ressort jamais indemne. Chaque histoire est différente et chaque expérience à un impact spécifique.

La promotion du burn-out comme cadeau de la vie peut être motivante, certes. Mais aussi culpabilisante, stressante et angoissante pour ceux qui n’ont pas la chance ou les moyens d’y parvenir. Les inégalités dans la prise en charge de l’épuisement professionnel sont énormes puisque tout dépend de l’organisation dans laquelle on travaille et après un burn-out chacun se débrouille comme il peut (d’où l’intérêt de faire reconnaitre le burn-out comme maladie professionnelle, car en effet, cela permettrait d’assurer un parcours de soin égalitaire pour tous les souffrants).

Et puis, je crois que la glorification de ce traumatisme participe à l’inaction des employeurs et des autorités publiques.

C’est comme si on ventait les bienfaits des accidents de la route parce qu’une fois revenus d’entre les morts, on apprécie la vie. OK MAIS NON EN FAIT. Rares sont les accidentés de la route qui diront merci, à l’automobiliste ivre et sans permis, du cadeau qu’il lui a fait. Pour les brulés du boulot, c’est pareil.

Je n’arrive pas à dire merci pour ce burn-out, je suis toujours prudente à ce sujet. Je préfère dire merci à la vie, à ma bonne étoile qui m’a sauvée de l’hôpital, à mon entourage et mes collègues de travail qui m’ont supportée pendant cette épreuve. Je crois qu’eux ne sont pas ravis de ce qu’il m’est arrivé et je parlerai prochainement de l’impact sur l’entourage (si vous souhaitez témoigner en ce sens, n’hésitez pas à m’écrire).

Outre la vision personnelle des individus, cette « banalisation » voire « glorification » du burn-out participe à grande échelle, à la normalisation de comportements nocifs pour la vie d’autrui : ce qui est – à mon sens – contreproductif pour la lutte contre le mal-être au travail.

Si le burn-out était un cadeau de la vie, pourquoi on cherche à améliorer les choses ? Si ce cadeau est si précieux, pourquoi les employeurs s’attèleraient à protéger la santé mentale des travailleurs ? Faisons même plusieurs burn-out pour être bien sûr que le problème vient de nous et non pas de la société ! Laissons faire alors et voyons ce que cela donne ?

Pour aller plus loin, Camille la créatrice du blog Travail En Question (qui a déjà témoigné sur TravailEcoute) donne son avis à ce sujet !

Mon burn-out, je lui dis merci – Camille de Travail En Question

1 Coup de gueule d’une praticienne RH – Aude Amarrurtu

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Burn-out, cadeau de la vie ou pas ?

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A propos de moi…

Je m’appelle Lucie.

Je suis RH, psychosociologue et la créatrice du site internet TravailEcoute.com

J’ai obtenu une licence d’économie, un master de management international et stratégique des ressources humaines ainsi qu’un diplôme pour accompagner le changement organisationnel et personnel.

Mes premiers travaux concernant les risques psychosociaux datent de 2012 pourtant cela ne m’a pas empêché de connaitre le harcèlement (sexuel et moral) et le bore-out jusqu’à épuisement.

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