En février 2018, je commence un nouveau poste pour une structure reconnue d’utilité publique menant des projets sociaux. Lors des entretiens on me prévient que l’équipe que je vais rejoindre est actuellement en sous-effectif mais qu’on va vite recruter. Je suis motivée par la conviction que je participe à développer des projets utiles et engagés, j’ai besoin d’avoir un sens à mon travail. Je me retrouve seule avec ma responsable (fraîchement nommée à la suite du départ de plusieurs personnes). La pression est constante, on doit gagner des subventions pour financer la structure et on est rythmé par les deadlines imposées des différents appels à projets.
L’ambiance est mauvaise, le turn over est important, les personnes n’ont pas l’air d’avoir confiance les unes envers les autres, il y’a peu d’esprit d’équipe et la devise qui règne c’est « à toi de prendre ta place ». En réunion celui qui parle le plus fort le remporte à chaque fois. Sous couvert qu’on travaille dans le « social », qu’on est « engagé », « militant », c’est normal de faire des heures supplémentaires sans être rémunérés ou les récupérer. Je n’ai aucune vision sur le long terme, je passe mes journées à gérer les urgences, on est toujours en retard, on n’a le temps de rien. Pendant 6 mois, je ne prendrai aucun congé car on a trop de retard. C’est vrai que j’ai une personnalité dévouée, pour qui la loyauté et l’esprit d’équipe sont des valeurs importantes. Je donne tout en me disant qu’on va bien finir par rattraper le retard et stabiliser la situation. Je découvre également une face cachée que je n’imaginais avec des personnes travaillant publiquement pour de « beaux projets » mais qui lorsque les médias ne sont pas là ont des comportements agressifs, médisants et que derrière toutes les belles paroles et valeurs projetées vers l’extérieur ici le seul mot d’ordre c’est de « faire du chiffre ».
Peu à peu je sens que je suis fatiguée, que lorsque je quitte mon travail je n’ai qu’une envie c’est rentrer chez moi et dormir, je sens que je perds l’envie, que mon travail devient obsédant, que j’y pense tout le temps, que je perds patience facilement, que j’ai des « craquages chocolatés » de plus en plus fréquent. Je sens que la communication avec ma responsable est coupée, qu’elle me dit qu’elle sait que c’est la merde mais que c’est comme ça, que d’autres ont essayés de changer les choses mais rien n’y fait, que des personnes sont en arrêt maladie mais pas de remise en question du fonctionnement. Elle me dira même « qu’ici on ne recrute que des jeunes diplômés car s’ils avaient travaillé ailleurs ils se rendraient compte que ce n’est pas normal ici ». Ma responsable est un bourreau du travail et j’ai l’impression de passer pour une paresseuse par rapport à elle, elle bosse tout le temps le soir, les weekends, en congés. C’est oppressant. Et en même temps je suis seule avec elle alors il faut tenir le rythme. On est toujours dans le rush alors j’en fais plus en me disant que ça va se calmer, qu’on va finir par recruter. J’ai l’impression d’être de plus en plus lente dans mon travail, j’ai des pertes de mémoires, je bégaye, des moments d’absence. Finalement je fais un point avec ma responsable et là je craque je suis à bout. Elle me dit qu’elle comprend, que c’est de la merde, que je ne suis pas la première à craquer mais que c’est comme ça, qu’elle veut partir et qu’à priori d’ici la fin de l’année elle sera partie mais elle me demande de ne le dire à personne. Je suis en larme mais on doit aller à une réunion, je la suis et essaye de ne pas craquer. Je me sens ridicule. Le lendemain on en rediscute et je me dis que ma seule porte de sortie c’est de démissionner, j’en peux plus je veux dormir, je veux être chez moi seule et ne plus penser à rien. Le rh m’explique la procédure à suivre. Pas à un seul moment l’un deux ne m’a dit que je devrais me reposer, aller à l’infirmerie, voir un médecin, me reposer quelques jours, que ça pouvait arriver à tout le monde. Au moment de rédiger ma démission, le rh me dit que c’est mon choix, qu’ils voudraient me garder mais que le plus important c’est mon bonheur. Et là je me dis que non, non ce n’est pas mon choix. Je ne signe rien et fini par accepter d’aller voir un médecin. Elle m’arrête mais je le vis très mal. Je ne veux pas accepter de ne pas avoir tenu, je culpabilise par rapport à ma responsable qui se retrouve seule à gérer des urgences qu’on n’arrivait pas à tenir à deux, j’ai honte d’être jeune, en bonne santé et d’être pourtant arrêtée. Je vais être arrêtée 6 mois, le temps que mon CDD arrive à sa fin. J’ai essayé de demander une rupture à l’amiable mais ils ont refusé. La DRH m’a dit que c’était dans ma tête, ma version des faits et qu’ils n’avaient rien à se reprocher, elle m’a ensuite dit que ma seule solution c’était de démission et qu’elle comprenait que je ne veuille pas revenir dans les locaux, qu’elle pouvait m’envoyer les papiers par courrier ou bien que je pouvais venir la voir tard quand plus personne n’était là car de toute manière elle bossait jusqu’à 23h tous les soirs. Aujourd’hui, je commence à accepter que j’ai fait un burn-out même si j’ai encore du mal à en parler et que j’ai l’impression que c’est de ma faute. Je suis en colère contre moi même de ne pas avoir été à la hauteur mais aussi de ne pas m’être défendue contre cet employeur toxique et ses (in)actions face à ma souffrance et à celle d’autres de ses employés. Et je suis en colère de voir que ça arrive à tant de personnes ! Je souhaite du courage à tous ceux qui se sentent mal dans leur travail, ne vous culpabilisez pas et battez-vous pour vos droits !
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